DE LA TOMBE À L’AMITIÉ Les tombes militaires à l’origine du rapprochement franco-allemand : l’exemple sarthois.

Souvenirs de Jean-Paul COUASNON, Président du Comité Maine-Basse Saxe. Un interview réalisé par Serge Bertin pour l'un de ses ouvrages sur les cimetières sarthois

 

SB. Jean-Paul Couasnon, nous sommes dans le carré allemand du cimetière de l’Ouest, au Mans. Il y a une cinquantaine d’années, tu te trouvais peut-être à proximité de tombes allemandes. Où, quand et dans quelles conditions ?

 

J.P. C. Oui. Pour moi, tout a commencé en 1960.

De jeunes Allemands étaient venus en Sarthe l’année précédente. Ils étaient orphelins de guerre, originaires de la région de Syke, du comté d’Hoya, en Basse Saxe et venaient entretenir les tombes de parents et autres soldats tombés en France. C’était en juillet 1959, à Champagné. Champagné et Saint-Mars-la-Brière avaient connu des combats importants et, comme dans beaucoup de villages sarthois, il y avait des tombes de soldats allemands. Donc, ce groupe s’était installé pour une petite quinzaine de jours à Champagné où il était hébergé dans l’école qui, évidemment, était fermée à la fin du mois de juillet. Ces jeunes avaient été accueillis, on peut dire gentiment, par le maire et la secrétaire de mairie, et par quelques autres personnes. On était en 1959 et la guerre n’était pas encore très loin, mais la démarche de ces jeunes gens avait été appréciée par la population. Ils étaient d’ailleurs très bien encadrés par un inspecteur de la Jeunesse et des Sports, Monsieur RASKO la première année et par Louise CHEVALIER et son mari, qui étaient d’excellents pédagogues. Il y eut quelques contacts. Un match de foot-ball fut même organisé entre l’équipe de Saint-Mars-la-Brière et celle des jeunes Allemands. Ce fut l’équipe de France qui gagna.

Ils étaient repartis chez eux en disant qu’ils avaient été bien reçus. C’était globalement vrai, même si la secrétaire de mairie et la postière avaient "bénéficié" d’une croix gammée, dont une dessinée sur la poste ; quelques courageuses lettres anonymes avaient  aussi été mises dans les boîtes à lettres des personnes qui s’étaient montrées les plus favorables. C’est  que la guerre n’était terminée depuis quatorze ans !

C’était donc en 1959. Les Allemands avaient invité quelques Français de Champagné  et de Saint-Mars-la-Brière à venir chez eux. Trois jeunes, partis pour une dizaine de jours en Allemagne avaient été accueillis dans les familles et en étaient revenus très enthousiastes.

 

En 1960, les Allemands demandèrent à revenir. Cette fois, ils étaient hébergés dans l’école de Saint-Mars-la-Brière qui était mieux équipée. On revit donc, dans les deux villages, les mêmes jeunes Allemands et leur même encadrement, accompagnés cette fois par Wolfgang HARJES, Inspecteur de la Jeunesse et des Sports de l’arrondissement, qui était un animateur hors pair. Les contacts furent un peu plus chaleureux, chacun se disant : "Quand même, ces petits Allemands qui viennent deux années de suite, pendant leurs vacances, entretenir des tombes,ne doivent pas être totalement mauvais". Une rencontre sportive fut à nouveau organisée, un vin d’honneur à la Mairie de Saint-Mars également. Au point que HARJES envoya à son Préfet, le Docteur SIEBERT-MEYER, le télégramme suivant : "Excellent accueil (il en avait peut-être rajouté un petit peu) des Français. Que pouvons-nous faire ?". Toujours par télégramme, le Préfet répondit : " Je mets à votre disposition un crédit de 8000 mark. Invitez une trentaine de jeunes de ces deux villages". Robert FERRAND, qui était à l’origine de ces rencontres en parla à son ami Michel DUBOIS, et tous deux tentèrent de constituer un groupe. Malheureusement, sur place, les ressources en jeunes, à la fois disponibles et désireux d’aller en Allemagne étaient faibles. Ils s’adressèrent à François MANSART, professeur au Lycée Montesquieu. Autour des couples FERRAND et DUBOIS et de François MANSART se constitua une équipe de jeunes volontaires : quelques uns de Saint-Mars et Champagné, une dizaine d’autres venus du Lycée Montesquieu, dont je faisais partie, et puis sept ou huit scouts de la Cité des Pins. C’est ainsi que, début août, une trentaine de personnes partirent vers Syke, en Basse Saxe, tout près de Brême. Nous logions dans les familles. L’accueil fut exceptionnel : visite de communes des environs, notamment Bassum, qui est aujourd’hui jumelée avec Fresnay-sur-Sarthe, excursion dans le Harz qui était, à l’époque, coupé par le "Rideau de fer" entre RFA et RDA. Nous avons été reçus par le Consul de France à Brême, Monsieur SCHOBER, qui était un Lorrain, ami de M. WILTZER, Préfet de la Sarthe, ce qui ne nuisait pas. Nous avons également déposé une gerbe au monument aux morts de la ville de Syke, dans une ambiance très recueillie. Nous, adolescents, étions bien conscients des sacrifices qu’avaient faits nos parents, des deux côtés, pris dans cet engrenage fatal. Ce voyage, long d’une dizaine de jours, fut extrêmement impressionnant.

 

L’année d’après, dans l’été 1961, nos amis sont revenus, toujours pour entretenir les tombes. Cette fois là, assez curieusement, l’autorisation de séjourner dans l’école et de prendre les repas dans la cantine de Saint-Mars-la-Brière, fut, dans un premier temps, refusée par le Préfet, à la suite de plaintes de quelques parents d’élèves. Une enquête menée auprès du Maire et de personnalités locales de Saint-Mars-la-Brière permit de rétablir la vérité. Mais beaucoup de temps avait été perdu. Les Allemands arrivant début juillet, il avait fallu trouver une autre solution. Aymar de NICOLAY, le propriétaire du château de Montfort, sollicité par Robert FERRAND, les accueillit dans sa commune et c’est là que nous les avons retrouvés.

Le Préfet WILTZER, qui était lui-même Lorrain, invita les jeunes Allemands et les artisans des accueils de Champagné et de Saint-Mars-la-Brière à une cérémonie officielle dans les locaux de la Préfecture de la Sarthe.

 

À partir de l’année suivante, en 1963, l’accueil se fit au Mans, dans l’école maternelle des Mayets, pour des facilités d’accueil et de déplacements. Il y eut une soirée mémorable, animée par des membres des Jeunesses rurales de Basse Saxe qui s’étaient joints aux premiers Allemands des débuts et qui pratiquaient le chant et la danse folklorique. Ils dansèrent également sur la place de la République avec la Gouline Sarthoise. De là naquit l’invitation à La Gouline qui se rendit en Allemagne en 1963 et  reçut les Allemands en février 1964.

 

Dès 1962, le Préfet de la Sarthe étant partie prenante, le Préfet allemand SIEBERT-MEYER également, tous deux ont exprimé l’idée de se rencontrer. Et nous, bande de « civils » : MM. FERRAND, MUSTIÈRE, DUBOIS, MANSART et le jeune homme que j’étais alors, nous avons eu à recevoir au Mans, pendant l’hiver 1963, le Préfet et le Président du Conseil général allemands. Bien sûr, nous n’avions que notre bonne volonté et puis trois sous à mettre dans l’affaire. Nous n’étions même pas constitués en association ! À la suite de cette visite, qui s’était très bien passée, on a décidé de fonder une association selon la loi 1901 : le Comité de liaison Maine – Basse Saxe. C’était au début de 1963, c’est à dire au moment de la création de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse. Robert FERRAND en fut, tout naturellement, le premier Président.

Oui, vraiment, nous étions des précurseurs… grâce aux tombes des soldats allemands.

50 ans célébrés à Stuhr en  octobre 2009